De l’importance des mots
De l’importance des mots !
Animant une rencontre avec Chantal Detcherry à l’Escale du Livre 2019, je lui posais avant de commencer l’entretien, la question de savoir pourquoi elle n’employait pas le mot « autrice » ? Sa réponse spontanée fut de me dire « que le terme ne lui paraissait pas du tout euphonique ». J’entamais, avec toute l’amitié qui nous unit, la conversation et lui rétorquais, « que le mot existait au Moyen-Âge, qu’il l’était tout autant que rédactrice, actrice ou créatrice ». « Ce n’est pas faux » me répondit-elle avec son beau sourire, et nous passâmes au sujet qui nous réunissait : son dernier ouvrage.
Mais Chantal, médiéviste, est une femme aussi intelligente que cultivée et j’eus le plaisir (pas la surprise, pour les raisons précitées !) de constater que j’avais jeté le trouble dans son esprit, et semé une petite graine qui ne demandait qu’à germer. Ainsi découvris-je quelques jours plus tard ce message dont je retranscris telle quelle, une partie :
« … Mais dans ma tête tu avais introduit le doute.
Je suis donc allée me renseigner un peu plus, et entre hier et aujourd’hui j’ai vu que le mot existait en effet au XVème siècle, peut-être plus tôt encore, puis qu’il fut très utilisé au XVIème (bien sûr, la Renaissance !), interdit de dictionnaire par l’Académie au XVIIème, (bien sûr, grand siècle misogyne). Une petite réapparition pendant les Lumières au XVIIIème. Puis vient la Révolution, très peu favorable aux femmes comme on sait, (pauvre et chère Olympe de Gouges !). Enfin le tour de vis patriarcal : le mot et ce qu’il implique sont quasiment détruits au XIXème , siècle archi misogyne s’il en est. »
J’ajouterais qu’il existait en effet avant le XVème et qu’utilisé dès l’Antiquité, il est ensuite interdit. Puis il revient au 1er siècle du christianisme, « auctrix » , désignant celle qui est responsable d’un travail. Qu’en effet au gré des siècles, victime de raisons autant patriarcales que politiques, il disparaît.
Les propos de Chantal me remplirent de joie, quelle belle défense d’un mot qui nous avait été confisqué ! Nous devons, nous les femmes, nous les réapproprier ces mots qui nous ont été enlevés. Celui d’autrice a un sens, il a une fonction, il nous désigne pour ce que nous sommes : des femmes, des femmes qui écrivent ! Aujourd’hui celui « d’auteure » tente une réapparition, mais nous ne devons pas l’accepter car il est un pâle détournement de celui d’auteur, laissant ainsi à l’oral planer le doute, il suffit de faire du « e » final un « e » muet. « Bonjour madame, vous êtes l’auteure….
Nous ne sommes, modestes ou célèbres, connues ou inconnues, ni auteures, ni auteresses, ni auteuses ou que sais-je, nous sommes, et le mot nous va bien, autrices. Utilisons-le donc, revendiquons-le, prononçons-le, et nous verrons, vous verrez qu’il s’installe très bien, et que nous sommes comprises d’emblée !
Pascale Dewambrechies.
1.« Histoires à lire au crépuscule ». Éditions Passiflore. 2019.
2.« Les femmes cherchent un féminin à auteur, il y a bas-bleu, c’est joli et ça dit tout ». Jules Renard Journal 1905
3.Aurore Evain « En compagnie, Histoire d’autrice, de l’époque latine à nos jours ». Éditions iXE