Le premier rendez-vous du Club Lecteurs-Essais.
L’ambition du Club Lecteurs – Essais : “Tenter de mieux comprendre le monde”. Françoise de Meyer.
La première rencontre, le 20 novembre 2021, était autour du thème du Temps sous diverses dimensions. Lire la suite.
Compte-rendu de la rencontre Club essai n°1 du 20.11.2021
Pour cette soirée, nous étions 9 Amis, certes peu nombreux mais c’est une première. Après une présentation du Club Lecteurs Essais des Amis de La Machine à Lire par Hélène de Ligneris et Maud Pionica, la rencontre se déroule animée par Françoise de Meyer, Jean Philippe Qadri et Bertrand Millagou.
Françoise : D’où m’est venue cette idée de Club Essai ? : Pendant le « Temps suspendu du confinement » grâce à la lecture du livre « La crise sans fin » et de l’écoute d’une conférence de Monique Castillo, professeure de philosophie à Paris, très engagée sur la question de l’éthique publique.
- Après quelques discussions pour présenter l’idée, aujourd’hui j’aimerai résumer les intentions du Club en 2 points :
- Suite à ce que nous traversons, « tenter de comprendre le monde » dans lequel nous vivons à travers diverses thématiques. Essayer de saisir les grandes questions de notre « temps ».
- A travers son œuvre Monique Castillo, nous invite au partage des savoirs : Lors de sa conférence elle nous rappelait d’une part que « C’est parce qu’autrui existe que je suis intelligent ». Si ce partage s’effectue par la parole échangée, le langage, cela s’apprend et cela contribue à nourrir les liens sociaux. Voilà l’idée : rien moins que de tenter de nourrir le lien démocratique par la culture !!
- Le choix a été fait de retenir pour chacune des séances une thématique transversale pour inviter et ouvrir une diversité de regards et d’analyses. Pour cette première rencontre, le thème retenu est celui du « Temps sous diverses dimensions : philosophique, scientifique, judiciaire et culinaire transdisciplinaire.
Les titres présentés:
La crise sans fin ; essai sur l’expérience moderne du temps, Myriam Revault d’Allonnes, publié aux éditions Points, 2012. [Une approche politique du temps] (présenté par Françoise)
Myriam Revault d’Allonnes présente une approche de philosophie politique inspirée d’auteurs tels que Hannah Arendt, Paul Ricoeur, Maurice Merleau-Ponty, Cornelius Castoriadis pour les plus connus. Dans cet ouvrage, elle s’intéresse à trois notions : La crise, la modernité et le rapport au temps.
Compte tenu de la thématique de la rencontre, la présentation qui suit aura pour fil conducteur le rapport au temps et sera découpée en 3 points : le présent avec une analyse de la société actuelle ; le passé notamment depuis le 18ième siècle avec l’invention de la modernité par Les Lumières ; et pour finir, le futur, après la chute des idéologies et notamment celle du progrès comment envisager l’avenir ?
- Au fil du temps, l’usage de la notion de crise a évolué : pour les grecs, le mot crise était utilisé dans le domaine médical et désignait le moment où une maladie, par exemple, arrivait à un point critique où il fallait prendre une décision de traitement pour tenter de guérir. Cela renvoyait à une prise de décision et à un moment bien précis. Aujourd’hui, nous avons le sentiment de vivre dans un contexte de crise permanente (tout est crise : économique, politique, sociale etc..). Par ailleurs, selon une analyse de l’auteur, le présent est frappé d’un processus de « détemporalisation ». Celui-ci est le résultat d’un phénomène (ou du sentiment) d’accélération du temps (citant Paul Virillo, Myriam Revault d’Allonnes parle d’un sentiment « d’immobilité fulgurante »). A cela s’ajoute une désynchronisation des temps (le temps du transport collectif n’est pas celui de la voiture, le temps professionnel s’oppose au temps personne, il y a le temps du virtuel). Citant cette fois Daniel Innerarity, Myriam Revault d’Allonnes évoque un phénomène « d’hétérochronie ». Dans ce contexte, il est de plus en plus difficile de prendre des décisions (cf. le politique toujours en réaction et non en anticipation des conséquences de la globalisation économique), voire même, les situations sont indécidables.
- Pour tenter de comprendre comment s’est effectué l’évolution de la notion de crise, il est utile de faire un retour dans le passé en étudiant notamment la notion de modernité. L’idée de modernité a été développée surtout à partir du XVIII siècle avec les Lumières. Il s’agissait d’établir une rupture radicale avec le passé (notamment le lien avec Dieu et le régime politique de droit divin). A partir de là, la rationalité de l’homme est à son apogée et il lui revient de créer sa propre histoire. La notion de crise est utilisée pour la première fois, hors du domaine de la médecine par le ministre des finances de Louis XV pour évoquer une « crise économique ». Plus tard, au 19 siècle, les tenants de l’idéologie du progrès feront de la crise, un moment essentiel de l’histoire de l’humanité. La crise est toujours un moment critique mais qu’il faut dépasser pour aller vers un avenir meilleur. La notion de crise fait désormais corps avec celle de modernité. Et puis, l’idéologie du progrès est sérieusement remise en question après la seconde guerre mondiale, on comprend alors que le progrès technique et scientifique ne permettra pas de répondre aux questions fondamentales et existentielles de l’homme.
- Dans ce contexte, un grand nombre de propositions pour penser le futur oscillent entre des théories catastrophistes ou des postures optimistes par devoir. Myriam Revault d’Allones propose de commencer par utiliser un nouvel outil d’analyse pour la philosophie : la métaphore plutôt que le concept. Pour penser le futur elle propose de choisir entre 2 métaphores : celle proposée par Max. Weber, la fameuse « la cage d’acier » (in L’esprit du capitalisme) ; et celle de la » brèche du ou dans le temps » de Hannah Arendt (La crise de la culture). Bien entendu, elle a plutôt tendance à choisir la seconde, dans le sens où la brèche : ce moment du présent, où s’ouvre « un gap » entre le passé (que l’on ne refuse plus contrairement révolutionnaires et aux Lumières) et le futur où l’homme a la capacité d’inventer de l’inédit.
Bertrand : « Bergson évoque le temps de la nouveauté ».
Avoir le temps ; essai de chronosophie, Pascal Chabot, publié aux éditions des PUF, 2021 [Le temps philosophique].(présenté par Jean Philippe)
Pascal Chabot est un philosophe belge de 48 ans qui enseigne à l’Institut des Hautes Etudes en Communication Sociale (IHECS) à Bruxelles.
Cet ouvrage fait suite au Traité des libres qualités dans lequel il soutenait que la qualité plutôt que la quantité sera l’enjeu du XXI° siècle. Avec Avoir le temps, il met sa thèse en pratique en considérant la figure du temps.
Le livre se présente comme une méditation sur les temporalités. Partant de temps reculés, P. Chabot présente quatre grands régimes de temporalité (le destin, le progrès, l’hyper-temps et le délai). Avantages et inconvénients.
Le destin : cycles de la nature. Le futur est influencé par le passé. Prépodominance de la tradition et les Dieux. Vertu de la patience et de l’attention, l’homme est soumis aux cycles de la nature et à ses lois ; il doit être attentif à en respecter les rythmes.
Le progrès : futur tendu vers l’avenir. L’homme est délié de la tradition. Il est sujet actif, porté idéalement par la réflexion humaine : dans cet idéal le progrès psychopolitique accompagne le progrès technique (Image de la flèche ou de la double hélice ADN). L’horloge est son objet paradigmatique (le temps n’est plus qualité mais mesure). Vertu de l’espérance.
L’hyper-temps : progrès démesuré qui a oublié le progrès moral avec la suprématie d’hyperforces : ex. les hyper-structures GAFA qui imposent leurs lois technologiques. Le futur est aboli par les avantages de la technologie et de la consommation. L’écran, l’horaire et le crédit : on va prendre la richesse dans le futur pour alimenter le présent. Vertu : présence au carré et multiplication de relations ; défaut : présentisme.
Le délai : On en est à la phase du délai. Le futur est aboli par les aspects négatifs du progrès technologique. Temps de la catastrophe. Le défaut : tentation du désespoir. Vertu : Compréhension de la finitude des choses qui compense la tentation de la démesure.
Thèse de l’auteur : pour que l’Homme redevienne un actif :
– Ces quatre rapports au temps coexistent, aucun n’a raison : il faut hybrider, compenser la négativité de certains rapports au temps pour en permettre d’autres plus positifs. – il faut « croire » au progrès.
Critique de l’ouvrage : le concept de kairos – l’occasion –, se trouve dans les deux dernières pages seulement, sous prétexte que ce temps caractéristique de l’action dépasse le cadre d’une pensée des temporalités.
Les vertus du temps : Eloge de la prescription, Marie Dosé, publié aux Editions de l’Observatoire, 2021 [Le temps judiciaire]. (présenté par Bertrand)
Approche juridique intéressante, quelques termes difficiles mais découverts au travers des affaires. Livre sur la prescription des affaires judiciaires : au-delà d’un certain temps on ne peut plus poursuivre la personne qui a commis un crime. On trouve différents types de prescription, comme par exemple les prescriptions de l’action publique, de la peine ou pour non-dénonciation..
Eloge de la prescription. Il y a toujours eu de la prescription, dès la Grèce antique pour éviter la vengeance permanente et pour tendre vers une société apaisée. Idem pour les victimes qui peuvent enfin poser leur fardeau. Procès oui, mais pas éternel. On vit aujourd’hui sous le risque de l’abolition de cette prescription. On a doublé les délais de prescription pour les délits et crimes (3à6 ans pour les premiers, 10 à 20 ans). Il y a en outre de plus en plus d’exceptions. Par exemple le crime de viol sur mineur, le délai de prescription est de 30 ans à daté de la majorité de la victime.
Donc on rejoint de plus en plus l’imprescriptible qui était réservé au crime contre l’humanité et au crime de génocide.
Le temps médiatique augmente le temps judiciaire. Le temps judiciaire est à la merci du temps médiatique. Depuis 20 ans, les faits divers produisent immédiatement des lois nouvelles. Ex : affaire Matzneff. L’impact symbolique est fort, d’autant plus quand vous êtes un justiciable lambda et que votre plainte pour viol n’est toujours pas traitée au bout de 6 mois, comme l’autrice le dit.
Françoise : « Pour M. Revaud-D’Allones, on est dans un temps figé, dans une société où il n’y a plus le temps de la de décision ».
Bertrand : « il y a différents temps judiciaires, reliés à d’autres temps comme par exemple les temps médiatique ou politique. ».
Nagori (Naguère du goût), Ryoko Sekiguchi, publié aux éditions Folio, 2018 [Le temps culinaire] (présenté par Bertrand)
Mélange entre le goût, les aliments, le temps. Elle vit en France depuis longtemps amis avec la sensibilité des japonais aux saisons.
Elle s’appuie sur le temps cyclique des saisons et des aliments résultant des saisons. Au 17° siecle, 4500 poèmes classés par saison. Des milliers de haikus.
Depuis, les cycles sont mis en danger par l’envie d’aller au-delà des saisons. Quête d’immortalité par la conservation, la salaison, les méthodes de conservation industrielle.
Envie de conserver quelque chose de soi. Nagori c’est la nostalgie de la saison qui s’arrête. L’art de la cuisine. Faire coïncider diverses temporalités – par la conservation au Québec, la cuisine de l’ours au Japon-. Cuisiner c’est la spiritualité de goût.
Françoise a trouvé ce livre délicieux !
Jean-Philippe n’a pas eu le temps de présenter le livre d’Etienne Klein mais n’est-ce pas une présentation en soi que de savoir ne pas avoir le temps ?