La rentrée littéraire
Vue par Christine Ferrand, dans le cadre du Petit Déjeuner Littéraire des Amis du 3 octobre 2020.
La rentrée littéraire, une spécificité française :
Chaque année, au retour des vacances, l’actualité littéraire se focalise sur la « rentrée littéraire ». Or, cette notion de « rentrée littéraire » n’existe nulle part ailleurs qu’en France. Dans les pays anglo-saxons, les parutions de livres s’organisent en deux moments annuels : l’automne (« autumn falls ») et le printemps (« spring falls »), tandis que d’autres pays privilégient le début de l’été comme la Grèce.
Mais nulle part ailleurs, la nouvelle production littéraire suscite autant d’emballement médiatique que notre « rentrée littéraire ». C’est qu’elle est intimement liée à la proclamation des « grands prix littéraires » de l’automne.
Rappelons que le prix Goncourt a été créé en 1903, par l’Académie Goncourt à partir du legs des frères Goncourt pour couronner un écrivain débutant et un roman – genre que ne couronnait pas l’Académie Française. Sont venus ensuite le prix Femina (1904), le prix du Roman de l’Académie française (1915), le prix Théophraste Renaudot (1926), puis le prix Interallié (1930). D’autres prix sont venus rejoindre à l’automne leurs aînés, comme le prix Décembre, le prix de Flore, le prix Wepler, le prix Goncourt des lycéens, pour n’en citer que quelques-uns.
Les grands prix de l’automne ont subi beaucoup de critiques. On a souvent souligné leurs « oublis » : les grands écrivains que le Goncourt n’a pas couronnés sont pléthores, à commencer par Colette, Gide ou Céline et on a même pu dire que le prix Goncourt couronnait rarement le meilleur roman de l’année. On a souvent mis en évidence la collusion entre les éditeurs et les jurés, affirmant que ceux-ci seraient vendus aux grands éditeurs (le « système Galligrasseuil » du nom des trois éditeurs qui dans l’histoire ont le plus reçu de prix Goncourt, Gallimard, Grasset et le Seuil). François Nourissier, lui-même, qui a présidé le prix Goncourt pendant six ans, a pu dire : « Le Goncourt est un mélange de jugements littéraires et d’influences multiples ». Un grand éditeur, Claude Durand, qui fut P-DG de Fayard, reconnaissait tout de go : « Les prix littéraires, c’est du troc ». C’est que l’enjeu économique est énorme : un prix Goncourt peut générer en quelques mois des ventes dépassant les 400 000 exemplaires, soit une véritable manne pour l’auteur…et l’éditeur.
Pourtant, ils occupent aujourd’hui une place majeure dans la vie du livre, qu’ils contribuent à rendre attirant, ce qui est précieux alors que la place du livre diminue tragiquement dans notre société.
Avec leurs sélections successives, ils mettent en lumière environ 10% de la production romanesque de l’automne.
La rentrée littéraire 202O
Cette année, la rentrée littéraire a été complètement perturbée par l’épidémie de Covid-19. Jusqu’en juin, les éditeurs peaufinent leurs programmes de rentrée. Or, cette année, les projections sur fin août et septembre défiaient tous les pronostics. Aucune des présentations aux librairies organisées traditionnellement en mai et juin n’ont pu avoir lieu. Par ailleurs, la parution de beaucoup de romans programmée aux mois de mars et d’avril a dû être reportée. Cela a été le cas par exemple de Fille, de Camille Laurens, paru fin août, mais qui était programmé au départ en mars.
Du coup, la rentrée littéraire 2020 a été placée sous le signe de la prudence. Les éditeurs ont resserré la production (511 romans français et étrangers paraissant entre fin août et octobre selon Livres Hebdo/Electre, contre 524 en 2019…et même plus de 700 en 2010), en jouant les « valeurs sûres » (des noms connus comme Emmanuel Carrère, Philippe Claudel, Grégoire Delacourt). Ils ont réduits le nombre de premiers romans (65 contre 82 en 2019 et 94 en 2018) et de romans étrangers (145 au lieu de 188).
Cela dit, il faut souligner à l’attention de ceux qui se plaignent de la « surproduction » de la rentrée littéraire que ces quelque 500 romans programmés à l’automne ne représentent pas plus de 10% de la production annuelle de romans en France.
La vitalité de la rentrée littéraire – même si elle s’accompagne de son lot de « fausses » valeurs ou d’ouvrages purement circonstanciels – traduit la place qu’occupe encore le livre en France, et on ne peut que s’en féliciter.
Christine Ferrand, ancienne rédactrice en chef du magazine professionnel Livre Hebdo.